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Bulles de Grenouille
11 juin 2010

La poupée en éclats

La chambre est proprette, les rêves y sont douillets, la poupée est confortablement installée sur les oreillers.
Elle me raconte :

De là, je voyais par la fenêtre les lignes que dessinaient les toits, et dessous, les vies en tricot. Quand je tendais la main, je pouvais les toucher du doigt et c'était comme si ces fils s'enroulaient autour de mes doigts. J'en avais les mains pleines et le cœur battant.
De là, je voyais les nuages et leurs drôles de mirages.
Parfois je collais ma joue à la vitre. C'était froid, ma peau était chaude, c'était de la vie aussi.

Ce jour-là, c'était jour de grand vent. Perdue dans mes coussins, je ne le savais pas. Quand je me suis approchée de la fenêtre, d'un coup de bourrasque elle a claqué. Le carreau a volé en éclats, il s'est brisé sur moi. Dans son élan il a fracassé sur la joue que je tendais tous les baisers que j'espérais et les petites attentes que je collectionnais.

Le carreau gisait en mille miettes, et moi, en mille entailles, je jonchais le sol, les fils enchevêtrés, démantibulée.

J'étais seule et je saignais et j'avais peur et j'avais froid. L'air était glacé, je sentais sa colère qui rebondissait sur des parois qui n'existaient pas. J'étais seule et interdite ; je me suis mise debout en mille bouts. Il faisait noir et il faisait vide. Et la cavalerie dans mon cœur palpitait trop fort à mon tympan.

J'attendais. Je savais que ça prendrait fin, ce bruit et ce rien. J'entendais au loin au fond de mes entrailles les chants partisans et révolutionnaires. Je revenais à moi.

De l'autre côté de la porte lourde, des claquements de talons affolaient l'escalier. Je savais qu'on viendrait me secourir, me recoudre. On venait déjà. Je ne le voulais pas. Cette couture ne devait tenir qu'à moi. Je n'en laisserai le soin à personne. Il fallait que je me recouse. J'avais peur qu'on me remantibule de travers, pour éviter les douleurs ; j'avais peur qu'on me mette la tête à l'envers et les yeux au fond des poches, qu'on m'accroche les mains au fond des bottes, qu'on me fasse le cœur rétréci et les envies au rabais, pour ne plus tomber.

Je m'en fichais.

(...)

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Commentaires
M
et si beau à lire pourtanty
M
... trop touchant en notre profondeur parfois
P
... pas de mots assez beaux pour te dire merci, pour ce cadeau!
M
qu'est ce que j'aime tes écrits.
A
le froid de la vitre contre la joue je vois bien mais celui du visage entaillé, non et je ne suis pas pressée...mais tu as l'art des sensations par métaphores ! donc maintenant je sais.
Bulles de Grenouille
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